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Témoignage Au Gaec des Rossignols, on conjugue bio et sans labour avec succès

Patrice Lefeuvre utilise ce scalpeur – semoir pour la destruction de prairies et de couverts et pour semer les intercultures et céréales au moment de la destruction de la prairie.

Pas de glyphosate et pas de labour non plus, au Gaec des Rossignols, dans le nord Mayenne. Dans son exploitation laitière très herbagère, Patrice Lefeuvre a cessé de labourer ses sols il y a 23 ans, et continue d’expérimenter car « les petits défauts peuvent devenir de gros problèmes ».

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« Si ça se trouve, un petit labour de temps en temps, peut-être que ce n’est pas si mal ? Je n’en sais rien », hasarde modestement Patrice Lefeuvre. Depuis 29 ans qu’il est installé dans le nord Mayenne, à Saint-Thomas-de-Courceriers, il n’a cessé d’essayer des trucs. En bio depuis 1997, en sans labour trois ans plus tard. Concilier bio et agriculture de conservation, chez lui, ça marche, en tout cas pour l’instant. Le taux de matière organique de ses sols est passé de 3 à 5,9 % en vingt ans.

L’éleveur laitier, installé en Gaec sur 104 hectares avec deux autres associés, élève des vaches normandes et croisées (360 000 litres) et produit des plantes médicinales. Le système est très herbager (avec séchage de foin en vrac), les vaches produisent en moyenne 7 000 kg, dans la moyenne de groupe conventionnel pour ce type de race.

Au Gaec des Rossignols, les trois quarts de la surface sont en prairies complexes. Celles-ci sont semées avec les blés. « Ce type de rotation ne laisse pas se développer les adventices, la prairie a un effet nettoyant, elle remet à zéro les mauvaises herbes, surtout les graminées », commente Thomas Queuniet, technicien du Civam bio 53 qui encadre le groupe Dephy qui travaille sur les questions de TCS bio. « En grandes cultures, conjuguer sans labour et sans glypho c’est difficile, en revanche en système herbager, l’agriculture de conservation des sols en bio c’est possible et sans perte de rendements ». Il ne s’agit toutefois pas de semis direct permanent.

Vibroflex et scalpeur

La rotation, sur le site du siège de l’exploitation de Patrice Lefeuvre, se compose de prairie temporaire de quatre à cinq ans, puis un blé avec prairie sous couvert semée simultanément, et de nouveau quatre années de prairies temporaires.

Il commence par tester le sans labour en 2000 sur du blé après une prairie. Les résultats sont édifiants : pas de traces de ruissellement, et trois fois plus de trous de vers au mètre carré par rapport à la parcelle test.

Pour détruire la prairie, il utilise au départ un vibroflex sur lequel il a installé des socs à ailettes, mais le résultat n’est pas satisfaisant. À l’époque, le scalpeur n’est pas vraiment répandu, alors il en construit un. Les dents rigides et socs triangulaires de ce déchaumeur scalpeur lourd permettent de travailler à plat à une profondeur parfaitement maîtrisée, par tranches de demi-centimètres. Patrice Lefeuvre veut travailler le plus superficiellement possible, ne pas redescendre en dessous du plateau de scalpage. Objectif : couper entre le collet et la racine. À partir de 2003, la méthode est donc la suivante : deux passages de vibroculteur juste avant de scalper, vers la mi-juillet, puis à la première levée de graminées, nouveau scalpage très superficiel et l’opération de scalpage est renouvelée toutes les trois semaines jusque vers le 20 octobre au moment du semis de blé.

Scalpage de la prairie en mai

Tout cela fonctionne, mais Patrice Lefeuvre n’est « pas complètement satisfait intellectuellement », car la terre est à nu tout l’été, exposée aux UV. Et les bactéries sont détruites, la vie du sol en prend un coup. Il y a cinq ans, il décide de complexifier sa méthode. Dès lors, il scalpe la prairie dès le mois de mai, sitôt les vaches sorties de la parcelle : un coup de rotavator à 2 cm et juste après, un passage de scalpeur équipé d’un semoir. Il sème un mélange de sorgho, tournesol et colza qui sera ensuite pâturé en juillet-août. Détruire une prairie au mois de mai, voilà qui peut sembler étrange, mais l’agriculteur mayennais assume : « J’implante des espèces qui me crachent du volume l’été ». Il prend soin d’étaler ses semis sur plusieurs semaines selon les parcelles pour mieux gérer le pâturage estival : « Ça peut grimper trop vite, les vaches peuvent pâturer un sorgho jusqu’à deux mètres mais pas au-delà, elles laissent les tiges et en plus c’est compliqué de mettre un fil de clôture dans un sorgho de deux mètres ».

Sur les parcelles les plus éloignées, la rotation est différente : quatre années de prairies temporaires puis quatre années de cultures : blé, culture de printemps, mélange féverole-triticale puis orge de printemps. Un simple déchaumage suffit après le blé et le semis de féverole-triticale. Cette année, Patrice Lefeuvre remplace le blé par du colza, culture a priori plus adaptée pour profiter de l’azote de la prairie. Le blé sera implanté après le colza. « Sur le papier ça a l’air simple, commente l’agriculteur. Si j’ai bien déchaumé, en semant mon blé tout en scalpant, tout le colza sera coupé ».

« Une bonne recette n’est jamais éternelle »

Si l’éleveur mayennais n’est pas dogmatique, c’est aussi qu’il s’est trouvé confronté depuis quelque temps à une « problématique pissenlit » qui traduit une fermeté du sol. Résultat, ses rendements de blé ont fléchi, passant de 50 à 30 quintaux. « Les bonnes méthodes ont toutes des petits travers qui peuvent devenir de gros défauts année après année », analyse-t-il. Alors l’an dernier, il a passé un coup d’ameublisseur avant l’implantation de la féverole : « On a perturbé un peu les vers mais on n’a pas explosé les mottes, la structure est restée assez solide ». Cela permet à la vie du sol d’être plus active, aux racines de féverole de descendre plus profondément. Il pourrait bien renouveler l’opération tous les huit ans, désormais.

« Il faut plusieurs années pour conclure qu’une méthode est bonne, mais il ne faut jamais généraliser et une bonne recette n’est jamais éternelle », insiste-t-il.

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